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Rencontre à Porrentruy avec Jean-Luc Barbier
La
vieille maison de
Porrentruy, aux Annonciades, abrite un relieur au rez-de- chaussée et un atelier
de peinture et de musique au premier, au bout d'un sombre corridor et d'un austère
escalier en chêne qui geint discrètement.
Quelques notes de musique traversent la porte avant notre coup de sonnette qui fait
apparaître notre hôte, Jean-Luc Barbier. Le vêtement strict un peu sévère, la
barbiche originale et le regard rieur derrière ses verres, il a l'air d'un
trentenaire. Il est quinqua.
Un gars de la Servette Un piano, des chevalets en cercle, quelques tables encombrées, des rayonnages interminables de disques d'une facture désormais désuète, des vinyles 30 cm. Il me fait remarquer les stucs du plafond, réalisés dit-il par une famille italienne de la région qui a exercé son art dans de nombreuses demeures bruntrutaines.On s'installe à une petite table sous laquelle un tiroir trop grand interdit de croiser les jambes. On fera sans. Quelques disques à pochettes marron sont à sa portée de main. Sa musique. Je lui propose de la mettre en fond sonore. Il s'exécute volontiers et ne s'offensera pas lorsque, trois minutes plus tard, l'oreille désolée, je lui demanderai de couper le son. Le free jazz, faut être prévenu ... Il en convient en riant. Jean-Luc opte d'emblée pour le tutoiement, mais épisodiquement, sans que j'en distingue le motif, il retourne au vouvoie- ment. Je ne suis pas contrariant, on continuera la discussion sur ce mode, passant indifféremment l'un et l'autre du vouvoiement au tutoiement, sans plus de raison dans un choix que dans l'autre.Chat échaudé... En
prévision de notre rencontre, il a mis quelques notes sur papier. Six pages:
les repères d'un parcours sinueux dont le récit exhaustif réclamerait bien plus
qu'un feuillet du Quotidien Jurassien:
«Je suis né au centre de Genève, j'suis un gars de la Servette. Ça ne veut rien dire pour toi, je vois bien. C'est le quartier de la gare. En dessus. C'est typé, disons, classe moyenne; la jonction c'est plutôt ouvrier et Carouge c'est à la fois le quartier étranger et culturel.» Son père est musicien. Saxophoniste. A une époque où le saxo est un peu le parent pauvre: «C'est le jazz qui a donné ses lettres de noblesse au saxo, c'est un instrument particulier, qui peut avoir la douceur du violon et la force d'une trompette, il a eu du mal à se faire une place.» Raison pour laquelle son père, à l'époque, n'a pas pu faire carrière dans l'ensei- gnement musical et a dû se reconvertir en dessinateur technique. C'est sans doute à cause de cette difficulté qu'il avait luimême rencontrée qu'il n'a pas accepté que son fils Jean-Luc se dirige d'entrée vers la musique : «J'ai dû faire des études dans le domaine de l'ingénierie, mais mon père m'a quand même inscrit à la Fanfare des Cadets de Genève et m'a payé des cours de dessins. C'est parfait, la fanfare, ça socialise.»De très gros ego Jean-Luc multiplie les expériences, découvre le jazz moderne avec le big band de Louis Vaney à 16 ans, quand il est appelé à remplacer un saxophoniste mort d'une overdose, organise des rencontres, des sessions, sur le modèle des hootnany de folk qu'il a découverts à Amsterdam: «Des soirées folles où chacun vient pousser la sienne. J'ai mis ça en place le jeudi. On s'en fout, mais je suis sûr que c'était le jeudi !» Il obtient une bourse d'étude, apprend et enseigne et, en 1979, il est appelé par Vogue Evasion qui lui donne carte blanche pour réaliser un disque (voir «L'objet»). Il contacte François Lindemann: «Il avait l'expérience du jazz, moi du classique, chacun était autodidacte dans l'autre registre, on s'est bien complété. Mais comme on avait un gros ego l'un et l'autre, on ne s'est pas mis d'accord sur le nom du groupe, alors on l'a baptisé Musique collective à 4, soit CM4.» Les deux autres membres de ce quatuor (Olivier Clerc et P-F Massy) n'avaient donc pas d'ego ? Il me regarde bizarrement: «T'as de l'humour, hein !»
Il fait de la recherche musicale, multiple les concerts, voyage le monde en musique, crée son propre groupe, se met à me parler d'un tas de musiciens qu'il côtoie, écoute, dont il s'inspire et semble finir par s'étonner que j'en reconnaisse si peu. Alors, pour ne pas être trop en reste, je lui demande à mon tour s'il connaît Fabrice Bénichou. «Euh, non, c'est un bassiste ?» Raté, c'est un ancien champion du monde de boxe ! Jean-Luc Barbier réalise la musique d'un film d'Alain Tanner (Dans la ville blanche), il enseigne l'improvisation. Ça s'apprend, ça ? «Ben oui, comme la fonderie. Comme tout. Il y a un côté rhétorique. On trouve ça chez Chopin, de l'improvisation écrite. Ce qui n'est pas le cas avec Schumann, où la littérature est plus construite. Mais bien sûr, dans tout ce que l'on fait, il y a des copeaux. Il ne faut pas imposer les copeaux au public, c'est un peu ce qu'on faisait avec le free-jazz.» C'est bien ce qu'il me semblait. Les mauvaises rencontres De 82 à 85 il fait de fréquents voyages à Paris, y habite même, y enseigne la musique en apprenant la peinture. Manque de chance, le directeur de l'école de dessin était scientologue. Jean-Luc se fait aspirer: «Quand tu as vécu des événements difficiles, comme moi ... J'avais échappé de justesse à un chauffard en Espagne qui essayait de m'écraser alors que je faisais du stop, je suis sorti in extremis de l'incendie de mon appartement, j'avais des fragilités en moi. La scientologie te propose une protection, mais elle est intru- sive, en réalité on te force à recréer ton passé, on te culpabilise, te reformate, c'est du terrorisme psychique, on te fait perdre ta personnalité, on te coupe du monde réel. Et bien sûr on te demande des sous sur tous les prétextes. Ah ! pour ça on t'aide, mais pas par humanisme. J'ai ouvert plusieurs ateliers, j'avais des élèves aussi grâce à la scientologie. Mais quand, après une demi-douzaine d'années, j'ai refusé de payer des royalties à leur association, WISE, j'ai été vidé de ma salle de cours par des cerbères.» La vertu jurassienne Mais, assure-t-il, ce n'est pas facile de sortir de ce qu'il appelle une secte. Il se dit poursuivi, harcelé par ses anciens coreligionnaires. Alors il les combat. Le pot de verre contre le pot de fer. Il dénonce leurs méthodes partout où il se trouve. En pure perte, ou presque: «A Genève par exemple j'alerte l'Instruction publique, qui me dit qu'il s'agit d'une école privée; je m'adresse au bureau de l'enseignement privé qui me répond que c'est une Eglise; j'avertis l'association des psychiatres, qui affirme que les journaux font suffisamment de prévention. Je fais des pétitions dans le canton de Vaud, on me rétorque que c'est aux victimes de s'adresser au médecin cantonal. Bon sang, mais c'est un problème politique, de société ! C'est pour ça aussi que je suis venu dans le jura, où cette secte n'est pas représentée et où les autorités y semblent attentives, elles ont bien compris ma pétition pour interdire les stands des scientologues. Vous savez, ce ne sont pas des hurluberlus, ce sont des gens qui visent le pouvoir pour imposer leur loi. Et souvent ils avancent masqués, ils se fondent dans le paysage. C'est pervers.» La multiplicité de l'être Jean-Luc continue de se débattre contre les attaques dont, dit-il, il est toujours la proie. Mais ses plaintes, ses mises en garde, ses imprécations trouvent peu d'écho: «Je ne suis pas soutenu, pas entendu. On me reproche de ne pas apporter de preuves. Mais moi on m'a condamné pour un fax injurieux que j'ai prétendument envoyé à un avocat-député, sans aucune preuve, sans enquête, au mépris de la présomption d'innocence» (c'est exact, j'étais au procès, je confirme).Il enchaîne la philippique dans un discours enflammé où les formules le disputent à l'argument: «La scientologie c'est une culture de l'élitisme en noir et blanc, l'idée c'est que tout ce qui t'arrive a un responsable, souvent toi-même. Mais demande à une femme violée pourquoi elle l'a été ? Parce qu'elle avait une minijupe, parce qu'elle ne fait pas de karaté, parce qu'elle était au mauvais endroit ? Les gens veulent des réponses simples, mais il n'y en a pas. L'être humain est multiple, c'est ce qui fait sa force et ses difficultés. Moi j'ai eu une éducation protestante-libérale angélique, le premier attrape- mouches, je suis tombé dedans. Il faut arrêter les sectes avant qu'elles te prennent toutes tes libertés.» Un clou dans le béton Dans le jura, ça va beaucoup mieux. Même si tout n'est pas parfait. Jean-Luc a déposé plusieurs plaintes contre le Parlement qui a interdit la fumée dans les bâtiments de l'administration, sans l'interdire (encore) dans les lieux publics: «Oui, ça veut dire qu'on protège les fonctionnaires et qu'on se fout des autres.» Il reproche aussi au Parlement l'élection des juges sur le mode politique: «Etre jugé par un magistrat du même parti que ton adversaire, ça ne joue pas (il sourit gentiment). Bon, je ne mesure pas mes interventions au millimètre, un artiste ne doit pas s'attendre à ce que tout le monde l'applaudisse. Et puis, bien sûr, si tu enfonces un clou dans le béton, c'est le clou qui casse». Mais il s'y trouve bien, dans le Jura, avec son épouse et ses quatre enfants. Même s'il juge qu'il manque des structures pour la jeunesse: «Il faut faire quelque chose, la jeunesse est abandonnée. Il y a un lien entre la drogue et l'absence de lieux de rencontres, d'activités. La Suisse est riche, on s'en rend compte quand on parcourt le monde. Il faut faire un effort, des maisons de la culture par exemple, si on ne veut pas que tous les jeunes filent à Genève.» JH: Pas grave, du moment qu'ils en reviendront pour fuir les scientologues... Jacques HourietL'invité de la rédaction Jean-Luc Barbier et l'actualité Eligibilité des étrangers JLB: On est toujours l'étranger de quelqu'un. Aérodrome à Bressaucourt JLB: Tant qu'on ne fait pas une base pour les soucoupes volantes. Golf du Domont JLB: La priorité c'est une maison de la culture. Auditorium jurassien JLB: A l'envers du bon sens, pourquoi ne pas mettre un pâturage au milieu de la ville ? Happy slapping JLB: Le reflet d'une violence de la société tout aussi réelle, mais cachée. Présidentielle française JLB: On ne pardonnera la moindre faute ni à l'un ni à l'autre, comme si toutes les solutions pouvaient venir d'un chef d'Etat. jh: Les candidats le prétendent. Congé paternité JLB: Un progrès qui repose sur un changement de mentalité, de génération, c'est bien d'offrir ce nouvel atout à la famille. Peine de mort JLB: Elle ne résout rien et se trouve totalement à l'opposé de notre culture chrétienne fondée sur le pardon et le refus du bouc émissaire. Ouverture dominicale JLB: Ça remet en cause des acquis sociaux obtenus de longue lutte qui méritent d'être préservés contre la société de consommation. Armes à la maison JLB: Ça présente un réel danger. Mais est-ce qu'on va ensuite interdire les couteaux de poche ? jh:C'est le risque. Haro sur la fumée JLB: Oui, mais sans créer de panique ni criminaliser les fümeurs. Pauvreté dans le monde JLB: Le problème c'est d'agir sur les facteurs, mettre l'éducation en première ligne et réduire les dépenses d'armement. Israël/Palestine JLB: Lorsque vous érigez un mur entre deux pays, vous aurez la guerre en prime... Euthanasie JLB: C'est une question qui me dépasse, on veut même réglementer la mort... Chiens dangereux JLB: Il n'y a pas que les chiens qui mordent. Légalisation du shit JLB: A qui ça profitera ? jh: On l'imagine. Chine économique JLB: Elle ne survivra que dans la pluralité, donc par une remise en question politique. Coûts de la santé JLB : Ils pourraient- être diminués par l'amélioration de la qualité de vie, de l'alimentation, un frein au stress. Nouvelle planète JLB: De telles recherches ont de grandes incidences sur notre manière de voir la vie. Les journaux devraient en parler davantage. Jacques Houriet: C'est trop loin... |
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